Cour des ministres - près de la place d'Armes

Cour des ministres - près de la place d'Armes

Le directeur général de finances marchait tranquillement avec son secrétaire. Jacques Necker réfléchissait tout haut.

- Je ne sais si l’on trouvera un jour que j’ai suivi la bonne route, mais certainement je la cherche. Je n’ai sacrifié ni au crédit, ni à la puissance et j’ai dédaigné les jouissances de la vanité. J’ai renoncé même à la plus douce des satisfactions privées, celle de servir mes amis ou d’obtenir la reconnaissance de ceux qui m’entourent... Je ne vois que mon devoir. Enfin, peu importe ! Je dois revenir aux affaires de l’état.

Le ministre se tourna vers son secrétaire :

- Qu’est-ce qui est prévu à l’agenda aujourd’hui ?

- Monsieur le directeur général, vous devez examiner le cahier de doléance de la ville de Barcelonnette et de la vallée de l'Ubaye.

- Que l’on convoque le jeune comte de… Quel est son nom déjà ?

- Pierre-André de FAUCON d'AUDIFREDI, comte de Mortigliengo.

- Que l’on convoque donc le comte de Mortigliengo.

Le secrétaire s’inclina et se retira afin de répondre à la requête de son maître.

Pierre André de FAUCON D'AUDIFREDI arrive enfin auprès de Necker.
Il s'approche quelque peu intimidé.

- Monsieur le direction général des finances : mes hommages.
Je suis le Comte Pierre André de FAUCON. Vous m'avez convoqué suite à l'écriture dans le cahier de doléances des quelques griefs de la vallée de l'Ubaye et aujourd'hui, me voilà, près à vous apporter le maximum de précisions.

- Ah ! Vous voilà enfin jeune homme. J’ai beaucoup entendu parler de vous.

En bon et galant homme, Monsieur de Necker informa le comte de Mortigliengo des dispositions qu’il avait pris depuis sa nomination comme directeur des finances.

- À mon arrivée au ministère, j’ai trouvé le trésor vide. J’ai donc contribué à renflouer les finances de l’État en y versant deux millions de livres provenant de ma fortune personnelle. Désormais sûrs d’être payés et depuis ce moment les créanciers se sont contentés d’acomptes.Cependant, l’atroce hiver de 88-89, en rompant la circulation, a entraîné une disette et la famine. Les ressources de l’État n’existaient plus, j’ai donc dû par mon action et mon crédit personnel pourvoir à tout. J’ai nourri la France.

Avant de discuter du cahier de doléance de la ville de Barcelonnette, le directeur général des finances souhait informer son interlocuteur des difficultés qu’il avait rencontrer jusqu’ici dans l'accomplissement de sa charge.

Pierre André de FAUCON :
- Oui je suis plus ou moins au courrant de vos actions à la tête des finances de l'Etat. Les sujets de Sa Majesté vous sont reconnaissants de votre dévouement qui n'est, nous le savons tous, au fond qu'un devoir d'un sujet à son royaume. Moi même, mais à plus petite échelle, j'ai eu à rassurer les commerçants de ma vallée en faisant des promesses ou en injectant des fonds dans des projets de construction.
Cela n'est pas très réjouissant mais lorsque l'on voit que les résultats sont là, on oublie bien vite le sacrifice accompli. Aussi, je suis très heureux de pouvoir m'entretenir avec un homme qui agit de pareille sorte sans en réclamer le moindre bénéfice sinon que celui de servir le royaume de France pour le plus grand bien et la plus grande gloire de Louis le seizième.

- Très bien parlons maintenant des plaintes et réclamations de la ville de Barcelonnette.

Le directeur général des finances fit signe à son secrétaire de lui apporter le document.

- L’article premier du cahier de doléance porte principalement sur la production agricole. Alors que l’industrie ne fait que transformer une matière première en un produit élaboré, seule la terre donne plus qu’elle ne reçoit. Par contre, que la récolte devienne mauvaise, que survienne une mauvaise année, les vivres viennent à manquer. Construire de nouveaux greniers, développer les infrastructures… réclament des investissements importants qu’il est impossible de réaliser présentement compte tenu de l’état des finances du royaume. Vous préconisez un élargissement des types de production pour se prémunir de toute pénurie. La diversité des cultures est une idée intéressante mais elle est difficile à réaliser dans les faits. Des obstacles dans les mentalités, des routines dans les pratiques, des freins institutionnels sont autant de fardeaux à supporter. De plus, l’agriculture de subsistance offre déjà une variété de produits : le froment, le seigle, le blé, l’avoine, l’orge, la vigne et l’élevage. Quelle autre culture pourrait donner de meilleur rendement ? Avez vous des suggestions ?

Pierre André de FAUCON :
- Je ne pense pas qu'une nouvelle culture soit la solution. Je pense que généraliser les cultures existantes serait une avancée. De plus, je pense que nos infracstrutures censées accueillir nos réserves doivent être améliorées. Nous stockons des céréales dans des greniers vétustes ou des coffres humides. Du coup, nous perdons systématiquement une partie de nos récoltes.
La France ne souffre pas d'une mauvaise culture mais d'une mauvaise gestion des réserves. La famine de l'année dernière vous le prouve, Monsieur Necker. Laissez la situation dans l'état et l'an prochain, vous aurez d'autres révoltes liées à la crise alimentaire. Vous savez que je représente la noblesse de Barcelonette et vous pourrez vous étonner que je défende ainsi bec et ongles les intérêts des paysans mais de la santé de ces paysans dépend la puissance de la noblesse.
Dieu nous a donné des responsabilités. Ne les abandonnons pas sinon le peuple le remarquera et nous le fera payer.

Je peux parler durement mais je viens d'une région qui a connu de terribles émeutes frumentaires et je sais ce que c'est que les massacres de riches commerçants et de nobles. J'ai vu la haîne populaire retomber sur des innocents dont le seul tord était de porter une particule devant leur nom de famille. Si nous ne voulons pas que le pays bascule dans une crise économique et sociale, il nous faut agir. Le budget n'est certainement pas en très bonne santé mais si nous n'investissons pas, c'est notre santé qui en pâtira.

Ah ! Justement ! Monsieur le comte de Mortigliengo, le budget est en mauvaise santé. Il est même en très, très mauvaise santé. La banqueroute nous guette. Dans ces conditions, il est impensable de donner suite à vos propositions. Les infrastructures devront attendre le rétablissement des finances. Il faut remettre de l’ordre dans le gouffre budgétaire. Barcelonette a souffert, mais d’autres régions aussi et certaines souffrent encore. Après une année de sécheresse et des averses de grêle qui ont saccagé les récoltes, l’hiver 1789 a été d’une rigueur extrême et à Paris et au Havre la Seine a gelé. Chaque nuit, je suis terrorisé à l’idée que Paris pourrait manquer de pain pendant 24 heures. Je n’ose imaginer ce qui pourrait se produire alors que les troupes chargées de maintenir l’ordre sont elles-mêmes mal nourries.

Le directeur général des finances fit quelques pas.

Pour ce qui est de l’article 2 du cahier de doléances, je ne suis pas en mesure de me prononcer. Les questions militaires et de stratégie relève du Ministre de la Guerre, le Comte de Puysegur, ou du maréchal de Broglie. Je vais donc transmettre vos propositions à ces autorités.

Vous demandez , par l’article 3, le renforcement des pouvoirs de la Viguerie. Pourtant en 1749, un édit a supprimé cette juridiction administrative dans la majorité des régions de la France. Rare sont les endroits qui ont conservé comme en Provence ce tribunal médiéval.

La France a besoin de plus de cohérence dans ses institutions. Une meilleure harmonisation des lois est nécessaire. La prospérité de la France passe par l’accroissement et le renforcement du pouvoir royal et non par le maintient d’institution démodée et obsolète. Les traditions régionales doivent s’effacer pour faire place à un état moderne. Le système anglais doit nous inspirer et nous servir de modèle.

Pierre André de FAUCON :
- Le système anglais ? ... Je ne pense pas que vous soyiez sérieux en disant cela.
La viguerie de Barcelonnette assure la sécurité et la justice de la vallée de l'Ubaye depuis des décennies et vouloir y mettre un terme serait une grave erreur. Vous dites avoir peur que Paris manque de pain ne serait-ce que 24h, mais supprimer l'unique organe de justice de Barcelonnette aurait autant d'effet.

Vous parlez de ce budget que nous fait terriblement défaut. Mais pensez-vous, monsieur le directeur général des Finances, que c'est en restant dans l'immobilisme que nous sortirons de cette crise ? Je suis étonné que vous pensiez que l'unique solution se trouve de l'autre côté de la Manche, chez nos ennemis de toujours qui nous exècre, Monsieur.

Je vous encourage donc à reconsidérer votre avis sur les doléances de Barcelonnette, car s'il est vrai que perdre les parisiens est dangereux, perdre une région français, qui a toujours louché du côté savoyard voire italien, est tout aussi grave.

Je vous demande seulement de fair en sorte que ces cahiers de doléances ne soient pas qu'une poudre aux yeux lancée au peuple et à la noblesse.

Même si les Anglais sont ennemis de la France, on peut admirer chez eux leur régime politique. Depuis 1688, l’Angleterre offre l’exemple d’une monarchie de type parlementaire qui a fait l’admiration d’un Voltaire et d’un Montesquieu. Ainsi le roi règne, mais ne gouverne pas ; il choisit ses ministres parmi les députés de la majorité. Les membres du cabinet que préside un Premier ministre sont solidairement responsables devant les Communes que les ministres ont le droit de dissoudre pour faire procéder à de nouvelles élections. Dans le cas où les électeurs renvoient au Parlement des députés hostiles au gouvernement, celui-ci doit se retirer. C’est devant ce système d’élections et les garanties judiciaires offertes qu’il convient de prendre modèle.

Monsieur le comte dites-moi donc comment est-il possible de sortir de l’immobiliste lorsque l’argent manque cruellement ? Des dépenses difficilement compressibles, des recettes invariables et d’un médiocre rendement et un déficit important sont des obstacles majeurs à une reprise économique et financière. Le gouvernement n’a plus de marge de manœuvre. La caisse de l’état est à sec.

Est-ce que la noblesse de Barcelonnette est prête à consentir l’égalité de tous devant l’impôt ? Est-ce qu’elle est prête à faire le sacrifice de ses privilèges ?

Dans un temps de disette investir dans les infrastructures, tel que des greniers où des réserves, pourraient créer une psychose injustifiée. Le gouvernement pourrait être accusé de stockage des grains dans l’attente d’une montée des prix. De là une raréfaction encore plus grande du blé sur les marchés.

Enfin Barcelonnette n’est pas Paris. Perdre Paris c’est perdre la France.

Il est dit dans l’Encyclopédie : Le philosophe n’admet rien sans preuve, il n’acquiesce point à des notions trompeuses, il pose exactement les limites du certain, du probable ou du douteux.

Le certain : la situation financière du royaume est très mauvaise.
Le probable : les États généraux sont prévus pour le 4 mai.
Le douteux : la prospérité sera acquise aisément et l’économie relancée.

Enfin, les cahiers de doléances seront examinés au mérite et des priorités devront être établies.

Pierre André de FAUCON :
- Vous savez, monsieur le directeur général des Finances, j'avais un père froid, dur et peu bavard. Cependant, il m'a appris que lorsqu'il manquait de biens chez soi, il fallait aller le chercher ailleurs. Autrement dit, plusieurs interprétations de ce que je viens de vous dire :

La première c'est qu'il faut, à défaut de créer de nouvelles infracstrutures, généraliser la distribution des récoltes sur tout le territoire. En d'autres termes, que la ville de Lille puisse bénéficier des récoltes de la ville de Bordeaux si la première en manque. Un tel procédé aurait permis à beaucoup de mes voisins de ne pas perdre un enfant ou un vieillard.

La seconde, c'est que si la France manque de ressources, il faut aller les chercher au delà de nos frontières. Trois manières à cela : de nouveaux débouchés commerciaux, des prêts contractés, et enfin, la guerre.

Vous semblez très au fait de la situation budgétaire de la France mais vous semblez très peu enclins à bouger. Les seuls mots qui sortent de votre bouche, monsieur, sont "le budget est en mauvais état", sans offrir de solutions. Et lorsque l'on vous offre des solutions d'améliorations, vous faites machine arrière et vous dites "le budget est en mauvais état".
Vous faites l'éloge du modèle anglais, en vous plaignant indirectement du trop grand pouvoir royal en France, ce dont on peut discuter d'ailleurs, mais en même temps, vous vous démarquez considérablement de la politique du roi. N'allez pas me raconter que le roi souhaite se mettre la noblesse à dos en l'imposant ! N'allez pas non plus me dire que Louis le seizième serait d'accord pour évoluer vers une monarchie constitutionnelle.
Vous jouissez donc de suffisamment de liberté pour avoir votre propre avis. Le seul défaut de notre monarchie, justement, c'est que la décision en revienne uniquement aux ministres. Ainsi, dans notre présente situation, c'est vous, et pas le roi, qui faites obstable à toute réforme, hormis celle de la monarchie, comme si cette évolution constitutionnelle pourrait renflouer le budget de la France.

Maintenant, j'aimerais répondre à votre question. La noblesse de Barcelonnette serait-elle prête à l'égalité devant l'impôt ? Bien entendu, qu'elle serait d'accord, mais à condition que la noblesse soit également à égalité devant le travail !
Dans ma vallée, beaucoup de nobles auraient la possibilité de fournir un travail et de ce fait contribuer au développement de la vallée mais les traditions l'interdisent. Et puis, comment voulez-vous payer des impôts sans produire de richesse.

Nous sommes d'accord sur certaines réformes, monsieur, mais pas sur LA réforme que vous souhaitez engager. Je considère qu'il y a de multiples solutions pour améliorer la monarchie telle qu'elle existe aujourd'hui avant d'envisager une évolution constitutionnelle.

Bon,

La première solution :
généraliser la distribution des récoltes est une grande et noble idée, mais elle passe par des infrastructures.

La seconde solution :

* trouver de nouveaux débouchés commerciaux – mais lesquels ! Les entreprises connaissent une crise structurelle. Les colons des Antilles largement endettés réduisent leur achats. Le taux des profits maritimes et coloniaux décline à Marseille, à Nantes, à Bordeaux, à Rouen. Dans l’industrie des lainages, des toileries et de la petite métalurgie, l’innovation technique à la manière de celle que connaît l’Angleterre, est trop souvent négligée. Moins de machines modernes, des machines à vapeur en nombre négligeable, des fourneaux métallurgiques qui utilisent plus de charbon de bois que de houille.

* Des prêts contractés – c’est une voie à explorer. Il existe en France quelques grandes banques tenues par des étrangers. Cependant, elles investissent dans les secteurs de pointe et elles réservent le plus gros de leurs capitaux à des grosses maisons. En angleterre, il existe un système bancaire pyramidal avec des banques de dépôts locales qui drainent l’argent, des banques d’escompte régionales qui offrent un crédit aux taux d’intérêt abordables pour les entrepreneurs, une banque centrale enfin qui réescompte les papiers de commerce. Malheureusement, en France les grandes banques n’ont presque aucun relais provincial et ne sont coiffées par aucun organisme central. Le Français spécule plus qu’il n’investit, procède plus à des dépenses somptuaires qu’à des placements productifs, achète plus de rentes de l’état que des participations industrielles ou commerçantes. En somme le crédit est très difficile à trouver.

* La guerre – Ce n’est pas mon domaine. Je vous invite cependant à consulter le rapport du Maréchal duc de Broglie (voir archives / administration française).

D’autre part, je le dis et je le répète : le budget est en mauvaise état. La solution que je préconise pour résoudre ce problème, est un emprunt.

Enfin, c’est le roi qui nomme et démet ses ministres. Je sert les intérêts du roi en dénonçant toutes les prodigalités du Trésor royal au bénéfice de quelques milliers de privilégiés. C’est le genre d’abus dont on peut mesurer l’étendue et je crois que mon devoir d’y opposer les plus grands obstacles. Enfin, je compte sur l’opinion publique pour me soutenir auprès de sa Majesté royale. Toutefois, je doute que le roi abandonne ses principes et envisage un autre régime que celui de la monarchie absolue.

Pour ce qui est de la noblesse de Barcelonnete, je sait sa valeur. Les États généraux permettront de confirmer si j’ai vu juste.

Pierre André de FAUCON :
- Bien. Je crois que je trouverais pas plus de réponses favorables auprès de vous.
J'attendrais les Etats Généraux pour voir ce que la couronne est prête à faire pour sortir de la crise.
Transmettez mes amitiés à votre dame.

- Soit !

- Tous veulent des réponses ! La France entière veut des réponses ! Il faudrait 1 000 bouches, 10 000 gorges, 100 000 langues pour répondre à cette multitude.

- Il est fort à souhaiter que le roi intervienne avec son autorité pour donner la paix à son Royaume.

Necker regarde le jeune homme s'éloigné.

* Ce jeune homme est ambitieux. Il pourrait faire un excellent ministre, pourvu qu'il survive aux intrigues de la cour. *

Thiberge s'avance d'un pas sûr vers le garde.

Bonjour mon fils, peux tu m'indiquer l'antichambre de Monsieur Necker ?

Le garde lui indique l'aile des ministres vers lequel, sans perdre une seconde se dirige le prêtre. Une fois dans la pièce, il se demande à l'huissier s'il peut être reçu par Monsieur Necker, justifiant sa demande par le fait qu'il vient déposer entre ses mains le cahier de doléances du clergé de Saumur. Au moment où il termine cette phrase, la porte du bureau du ministre s'ouvre laissant passer un jeune noble

Le hussier répond au prêtre :

- Monsieur de Necker est très occupé. Malheureusement, il ne peut vous recevoir à moins que vous soyez recommandé par une personne très importante. Vous pouvez me remettre le cahier des doléances du clergé de Saumur. Il en prendra connaisance dès que possible et il vous convoquera si nécessaire.



L'huissier note dans son cahier l'entrevue accordé par M. de Necker à Pierre André de Faucon.


5 pts de prestige (renommé) sont accordés à de Faucon.